Au revoir José

Disparition : José María Riba (1952-2020) par Jacques Kermabon

La triste nouvelle est tombée de la récente disparition de José María Riba, critique de cinéma, sélectionneur de festivals et journaliste au sein du “service espagnol” de l’AFP (à partir de 1982), mais aussi membre du Prix Jean-Vigo et délégué général des Lumières de la presse à Paris. Ancien rédacteur en chef de “Bref”, Jacques Kermabon l’y côtoyait et lui rend un hommage auquel toute notre équipe joint ses plus amicales pensées.

La semaine dernière, j’avais laissé un message à José pour avoir de ses nouvelles. Je le savais au vert à la campagne. Il m’a répondu peu après par un SMS : “Hoooola Jacques ! Nous poursuivons notre vie de confinés first class, avec un seul couac : je suis sans voix, pas très pratique pour parler au téléphone ! Sinon, avec ces quelques jours du mois d’août que nous avons eu, nous nous serions crus sur la Rivieeeera ! Et vous, tout va bien ? (…) besos à toi et à la famille.” 

Deux jours avant sa mort, sollicité par une amie commune, pour un renseignement à propos d’un documentaire, José lui avait répondu par courriel, avec sa générosité habituelle, sans rien laisser paraître.

Hormis de rares moments où, au détour d’une formule, on croyait entendre furtivement la conscience qu’il avait de la gravité de sa maladie, José avait l’élégance d’euphémiser sa situation. Il était guéri, seul subsistait des problèmes de “tuyauterie” qui l’obligeaient à retourner régulièrement à l’hôpital. Si on s’inquiétait de sa maigreur, il répondait qu’effectivement, il n’avait pas assez repris de poids. On faisait semblant de le croire, parfois même on préférait le croire. Il était en tout cas une proie facile pour le Covid-19.

Je n’ai pas connu José au moment où il est devenu en 2000 le Délégué général de la Semaine de la critique. De loin, il m’avait frappé par son calme, le naturel avec lequel il présentait la sélection ou animait des rencontres. Tout semblait aller de soi, avec une tranquille simplicité. Là où il était, il semblait toujours à sa place, au service d’une action, jamais pour se mettre en avant.

Nous nous sommes mieux côtoyés et bien entendus quand nous nous sommes retrouvés jurés au Prix Jean-Vigo. J’ai ainsi accepté de le suivre quand il a voulu réunir quelques personnes pour animer le bureau de l’Académie des Lumières.

José aimait surtout contribuer à la création ou au développement de manifestations collectives. Il a, dit-on, tenu un rôle déterminant au Festival de San Sebastián. Je sais mieux, pour y être allé, combien il a compté pour le Festival de Morelia, tout comme pour la création d'Espagnolas en París

Certains l’ont décrit comme autoritaire voire parfois colérique. Je n’ai jamais été confronté à cette facette de son caractère si tant est que cela soit vrai. José n’avait aucun goût pour le pouvoir, se méfiait des velléitaires, des yakafaukon, il préférait agir et bien, mais à sa façon, fiable et rigoureuse, sans en faire des montagnes. Et pour cela, il s’entourait de ses proches – mes pensées vont à Eva et à Luna – et d’amis sûrs avec lesquels il serait plus agréable d’œuvrer dans la même direction. Si les choses prenaient un autre cours que celui qui lui apparaissait le plus pertinent, il n’avait pas de problème pour s’éclipser. C’est du moins ce qu’il laissait paraître.

J’appréciais beaucoup José et notre entente – si j’y pense aujourd’hui – devait tenir à ce que nous avions en commun certains traits de personnalités et d’autres qui nous faisaient complémentaires. 

Je serais incapable d’affronter, avec cette apparente sérénité, tous les détails et les incertitudes liés à la préparation d’une cérémonie comme celle des Lumières. José avait aussi une patience que je n’ai pas pour discuter avec tel ou tel, afin de dissiper des malentendus ou d’agréger des forces à son point de vue.

Le confinement ajoute de la peine à la peine. En temps normal, il y aurait eu énormément de monde à son enterrement.

Un hommage lui sera rendu quand les circonstances le permettront. 

En attendant, je me remémore nos rires, nos complicités, tous les bons moments passés avec José, même s’il est impossible de ne pas regretter tous ceux que nous aurions dû encore avoir ensemble.


 

José Maria Riba, journaliste et programmateur de cinéma, est mort- Par  dans Le Monde du 07 mai 2020

Ancien délégué général de la Semaine de la critique de Cannes, il avait contribué à populariser le cinéma espagnol et d’Amérique latine en France. Il est mort à Paris le 1er mai.

 

José Maria Riba.
José Maria Riba. VINCENT MOTTEZ

Journaliste au long cours (il a collaboré pendant trente-cinq ans à l’AFP après avoir débuté à RFI et à Libération)José Maria Riba restera avant tout comme un formidable découvreur de talents et bâtisseur de ponts dans le domaine du cinéma. Vingt ans après avoir amené le premier film d’Alejandro Iñarritu (Amores Perros) à Cannes, quinze ans après avoir lancé la programmation Espagnolas en Paris, pour faire passer les Pyrénées à une cinématographie espagnole méconnue, il est mort le 1er mai à Paris des suites d’un cancer aggravé par le coronavirus. Il était âgé de 68 ans.

Etroitement lié à l’Euzkadi, José Maria Riba n’en était pas moins né à Barcelone, en 1951. Il grandit et étudie au Pays basque espagnol, sous le franquisme. Militant engagé contre la dictature, il quitte l’Espagne dans les années 1970 pour achever ses études de journalisme à Paris. Il fait ses débuts en 1980 à RFI, où il couvre le cinéma pour le service en langue espagnole. Après une tentative avortée de retour au pays, comme collaborateur du Parlement basque, il revient à Paris en 1982 pour travailler à l’Agence France-Presse. D’abord reporter (il couvre, entre autres, la guerre civile au Salvador), il passe ensuite à la « grande nuit », vacation qui lui permet de mener une double vie, de journaliste nocturne et d’homme de cinéma diurne.

A partir de 1980, Riba collabore au festival de Saint-Sébastien, comme programmateur. Au fil des ans, le cinéma espagnol se réveille, se diversifie, à l’ombre du succès international de Pedro Almodovar. En même temps, de l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique latine sort de l’ère des dictatures, Argentins, Paraguayens, Chiliens retrouvent le chemin des festivals, souvent avec son aide. A Saint-Sébastien, José Maria Riba imagine de nouvelles structures pour favoriser les coproductions entre l’Europe et l’Amérique. En 2001, il crée Cinema en construccion (Cinéma en construction), qui réunit la manifestation basque et les Rencontres Cinélatino de Toulouse. Ces ateliers, qui favorisent l’éclosion ou l’achèvement des premiers films de jeunes réalisateurs, voient passer l’Argentine Ana Katz, le Chilien Pablo Larrain ou le Mexicain Amat Escalante.

Modestie, humour et intransigeance

Membre du comité de sélection de la Semaine de la critique à partir de 1993, José Maria Riba en est nommé délégué général en 2000. Il ne restera que deux ans à la tête de la section cannoise (l’un de ses successeurs, Jean-Christophe Berjon, évoque, dans un hommage sur Facebook, « l’impétuosité » qui valut à Riba d’être remercié), juste assez pour inviter Guillermo del Toro, avec Cronos, ou Alejandro Gonzalez Iñarritu, avec Amours chiennes.

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A Paris, avec deux autres amoureux du cinéma, Julio Feo, rencontré à RFI, et le correspondant culturel d’El Pais Octavi Marti, Riba crée et anime une émission sur CinéClassics, une chaîne de la filiale espagnole de Canal+. Pendant huit ans, de 1994 à 2002, le trio nourrit le public espagnol de son érudition et de ses enthousiasmes.

En 2005 a lieu au Majestic Passy, dans le 16e arrondissement de Paris, la première séance d’Espagnolas en Paris, qui reprend, avec une faute d’orthographe assumée, le titre d’un film que le réalisateur Roberto Bodegas a consacré en 1971 à l’émigration vers les beaux quartiers. Il s’agit pour Riba et ses complices, parmi lesquels l’actrice Laura Del Sol, de proposer une image plus complète du cinéma espagnol que celle qu’offrent les distributeurs français. Ces séances mensuelles essaiment et donnent naissance, en 2008, au festival Différent ! L’autre cinéma espagnol, qui est accompagné de rencontres professionnelles entre producteurs français et espagnols.

Depuis 2016, José Maria Riba avait repris l’animation de la cérémonie des Lumières de la presse internationale, palmarès du cinéma français décerné par les correspondants étrangers en poste à Paris. Devenu délégué général de la manifestation créée vingt et un ans plus tôt par Daniel Toscan du Plantier, il lui avait redonné un lustre certain.

Chacune de ces manifestations, de ces initiatives, José Maria Riba les avait marquées de la même modestie, du même sens de l’humour, de la même intransigeance esthétique. Il suffisait de le voir traverser une foule à Cannes, Saint-Sébastien ou Berlin pour voir que les innombrables saluts qui l’accueillaient ne procédaient pas des convenances ou de la mondanité, mais du respect et de l’amitié.

José Maria Riba en 7 dates

1951 Naissance à Barcelone ;

1980 Intègre l’équipe organisatrice du Festival international du film de San Sebastian ;

1982 Intègre l’Agence France-Presse ;

2000-2001 Délégué général de la Semaine de la critique, à Cannes ;

2000 Présente, à Cannes, Amores Perros, d’Alejandro Iñarritu ;

2005 Participe à la création d’Espagnolas en Paris ;

1er mai 2020 Mort à Paris.

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